Luc Bailly, Quand la peinture dé-visage...

Luc Bailly est un artiste contemporain vivant à Paris. Peintre autodidacte, il a fait du visage son concept central, ou plutôt, son objet peint par excellence. Ici, le visage se défait de ses liens avec le portrait. En effet, dans son travail, la peinture part d'elle-même, de la toile et des images qui y sont associées dans l'imaginaire de l'artiste. Il ne s'agit pas de reproduire la figure d'un individu mais de traduire en peinture « une émotion, une idée, un instant ». Nulle volonté chez cet artiste de représenter un je sujet. Il s'agit de peindre des objets-visages puisque, comme l'affirme Antonin Artaud : « Le visage humain est une force vide, un champ mort […] Ce qui veut dire que le visage humain n'a pas encore trouvé sa face et que c'est au peintre à lui donner ». Les figures de Luc Bailly semblent trouver leur face dans ce qui déborde du sensible et les rend profondément humaines. Nous pouvons même aller plus loin et affirmer que pour l'artiste, « le visage n'est que le support, c'est l'émotion qui prime ».

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© Luc Bailly

© Luc Bailly

Les tableaux de Luc Bailly se découvrent en série. Dans leur hétérogénéité de couleurs, ils ne présentent aucune unité apparente, une multitude plutôt qu'un ensemble. Dans ses toiles apparaissent des formes indéfinies, on peut y voir une bouche, des yeux et un nez mais pas de traits distinctifs qui feraient penser à, ou dans lesquels nous pourrions reconnaître quelqu’un. Ce que peint Luc Bailly, c'est avant tout un regard, plein de tendresse ou d'inquiétude. Une forme vive qui se débat pour s'extraire ou ne faire qu'une avec le fond. Les défigurations y sont le fruit de l'accident de la peinture et laissent entendre des cris, de la souffrance ou de la colère. Au fur et à mesure que le regard voyage sur ses toiles, il passe d'une expression à une autre, d'une humanité à une autre. Nous nous situons donc en dehors de la vocation traditionnelle du portrait, qui a pour ambition de rendre l'image la plus fidèle possible du sujet, de le magnifier, et de celle de la caricature comme amplification de certaines caractéristiques. Ce que donne à voir ces visages c'est tout autre chose : une émotion, mais aussi à travers elle, une époque, un air du temps, voire des présages.

Car le visage, comme le décrivait le philosophe Emmanuel Levinas, n'est-il pas ce qui déchire le sensible ? Cet objet qui échappe à ce que l'on voit et dont il est toujours impossible de faire le tour. C'est une représentation qui ne livre pas tout. Lequel d'entre nous peut se satisfaire d'une simple photographie comme représentative de ce que l'on est ? Même avec cette révolution technique, le visage ne peut être saisi dans son entièreté. Il est un tout, un ensemble constamment en mouvement, une expression toujours changeante. Et c'est bien parce qu'il ne se soumet pas à notre perception, parce qu'il ne tient pas dans le paraître, que le visage transcende le seul sujet. Ainsi, la peinture, selon Luc Bailly, permet d'entrevoir ce qui échappe à ce que l'on voit, de savoir ce qui se cache derrière la vitrine, « la peinture est plus proche de la vérité ». A l'échec de nos yeux face au phénomène du visage, l'artiste offre cette possibilité, bien plus puissante par la peinture, de pouvoir saisir ce qui émane du sujet, ce qui le transcende et qui le lie au genre humain. A travers cette palette d’émotions, l’oeuvre de Luc Bailly nous donne donc à voir l'humanité toute entière.

© Luc Bailly

© Luc Bailly

 

Emmanuelle Potiquet

Emmanuelle Potiquet